
Celui qui croyait que le deal obtenu le 10 décembre dernier, à coup de Génie Royal, n'était qu'un succès politique historique, en aura pour son compte. Au-delà de tout le retentissement local, régional et international, l'événement a vite bousculé, volé même la vedette à sa stricte dimension politique, pour s'ériger en grand événement social et médiatique.
Réseaux sociaux, chaînes de radios et de télévisions, organes de
presse, artistes, cinéastes, opérateurs économiques, religieux...etc,
sont en pleine effervescence, ici et ailleurs, mettant le focus, à
l'occasion du nouveau rapprochement avec Israël, sur la dimension juive
dans le social et le culturel marocains à travers les siècles.
Il était temps, tellement les départs massifs et successifs des
juifs Marocains sous d'autres cieux, depuis près d'un demi siècle
maintenant, a réduit la composante juive à un effectif suffisamment
rare, pour faire naître de nouvelles générations de moins en moins au
fait du véritable ADN socio-culturel de leur pays.
Les juifs Marocains à travers les siècles, n'ont jamais été une
communauté renfermée et cantonnée dans une ville ou région précise de
notre pays. Ils sont nés ici tout au long des temps et des siècles,
parmi les musulmans arabes et amazighs.
Ils ont hébergé dans pratiquement toutes les villes du Royaume et
exercé leurs cultes et leurs traditions, de la même façon que nous
autres arabes et amazighs. Ils parlaient aussi bien l'hébreu, l'arabe
que l'amazigh et avaient même l'accent distinctif de la ville ou de la
région de leur hébergement.
La plus grande particularité du Maroc, qui a fait toute sa richesse
distinctive à travers les temps, c'est cet art et cette manière
séculaires du vivre ensemble dans un brassage et une fécondité
culturelle exceptionnels. C'est cette diversité dans la fusion unitaire,
c'est ce sentiment fortement ancré et partagé, d'appartenance à un seul
et même pays, une seule et même société.
Qui parmi nous de ces générations nées avant les années soixante
dix, n'avait pas un voisin juif ou un ami juif ou un client juif ou un
fournisseur juif ou un transitaire juif ou un boucher juif ou un
tailleur juif ou un médecin juif ou un pharmacien juif ou un bijoutier
juif ou un collègue de travail juif, aussi bien dans l'administration
que dans le privé ?
Qui parmi nous de ces générations, n'avait pas préparé des plats
juifs, ou n'a pas mangé "S'khina" et "R'qaqa" chez une famille juive, ou
n'a pas organisé ou souhaité organiser une fête avec un orchestre ou un
chanteur juif?
À commencer par moi-même, pour être concret et direct, la première
fille qui m'a attiré à l'âge de douze ans, était une très jolie juive
que je croisais en ville nouvelle tous les dimanches matins, le
lendemain du Shabbat, habillée en princesse, sans jamais avoir osé lui
parler. Mon père avait des clients juifs. Les plus délicieuses saucisses
de foie et rates fourrées au foie, persil, poivre et ails, à peine
sorties du four bien grillées, que je mangeais à souhait, étaient de
chez un boucher juif. Mon premier cadeau que j'ai offert à ma fiancée,
était de chez Sarfati, un bijoutier juif. Ma plus Grande Ecole sur le
plan professionnel, qui a imprimée ma carrière, était en tant que
collaborateur direct de Albert Sasson, un juif très grand manager, très
compétent, très droit, très intègre, très grand patriote. Et enfin, mon
fils cadet a fait son collège et son lycée chez Assouline et Cohen au
lycée Maïmonide, une institution juive de grande renommée, très
selective et très peu coûteuse.
Tous ces évènements et toutes ces rencontres avec des marocains
juifs, n'ont évidemment été le résultat ni de circonstances
exceptionnelles ni d'un choix délibéré ni encore moins, de l'influence
d'une quelconque personne de mon entourage. C'est le témoignage concret
de la présence forte de la composante juive marocaine dans la société et
la vie quotidienne marocaines.
Ceci dit, oui les annales de l'histoire culturelle de notre pays,
nous révèlent que des étiquettes existaient bien dans le langage commun
qui taxait le juif de juif, pour signifier soit qu'il n'est pas musulman
soit qu'il est rusé.
Mais, ces mêmes annales nous apprennent que cette manie n'était pas à
l'égard exclusif des juifs. On taxait bien les fassis de multiples
qualificatifs, de même que les doukkalis ou les soussis ou les rifains
ou les marrakchis ou les tangérois ou les sahraouis ou les oujdis ou les
berkanais ...etc, selon une grille codée, de qualificatifs sociaux,
établie par une conscience collective foisonnante depuis des lustres, à
laquelle personne n'échappe, ne déroge.
À chaque ville, région ou famille même, ses étiquettes pour
taquiner, plaisanter, insulter, ironiser. Ça faisait, ça fait encore et
ça fera toujours, partie du culturel de ce peuple méditerranéen bon
vivant, qui adore pour moult raisons, la blague, le rire, l'amusement,
et qui a la capacité inouïe d'en créer les outils toutes les minutes,
pour ce faire.
Le 10 décembre dernier a véritablement remué, secoué même, la
mémoire collective des marocains musulmans et juifs, aussi bien au Maroc
que dans ĺes différents pays du monde. Toutes les nostalgies ont
subitement ressurgi à la surface de tous les cœurs, de toutes les
langues, de tous les moyens d'expression et de communication, dont le
présent article, pour réactiver des séquences dormantes de l'ADN d'un
peuple fier de sa grande diversité séculaire.
Ce formidable exercice de mémoire, est incontestablement un moment
fort pour renseigner nos jeunes générations sur leur véritable histoire,
sur leur véritable culture, sur leur véritable société, dans leur
riche, féconde et ancestrale diversité.
Ce formidable moment historique de retrouvailles, est également
l'occasion rêvée, inespérée, pour que tous les atouts collectifs de ce
grand peuple marocain, résidant au Maroc, en Israël et à travers le
monde, dans toutes ses composantes confessionnelles, culturelles et
sociales, soient investis et mis à forte contribution, sous l'Egide de
notre Monarque Visionnaire, Rassembleur, Charismatique, pour l'atteinte
de deux objectifs majeurs et pressants :
> le développement économique et social, et le rayonnement
international d'un Maroc conforté dans toute son intégrité territoriale
du Nord, à l'Est et au Sud ;
> la contribution décisive et sans intermédiaires mal
intentionnés, au juste règlement d'un différend israelo-palestinien qui
n'a que trop duré.
Le peuple palestinien a légitimement, étiquemment et humainement
droit à son Etat indépendant et souverain avec Al Qods comme capitale.
Après le temps de plusieurs décennies de gâchis, de guerres
fratricides et d'intermédiations partiales, négatives et
contre-productives, ou de soutiens verbaux à distance, à des îlots de
terres d'un peuple palestinien meurtri et disloqué sur des territoires
qui se rétrécissent chaque jour davantage, le 10 décembre a sonné le
temps d'une véritable chance pour une paix juste et durable au
Proche-Orient. Le Maroc pluriel peut en être pour beaucoup.
Les générations aussi bien arabes que israéliennes, qui se sont
succédé depuis les années cinquante du siècle dernier, sont fatiguées,
épuisées, lassées de vivre dans un "passé permanent", jonché de haines,
de menaces récurrentes et de préjugés. Elles aspirent et revendiquent
leur droit à un "futur proche" porteur d'espérances, d'équité pour les
palestiniens, de paix et de prospérité collective pour l'ensemble des
peuples et des Etats de la région.
Il n'y a pas que les verbes que l'on peut conjuguer, les efforts
aussi. La fatalité aveuglante et le fanatisme de tous bords, sont
l'œuvre malveillante de médiocres incapables de perspectives, qui se
complaisent dans la reproduction systématique d'une haine devenue leur
fond de commerce, qui ne leur confère aucun droit de nous en faire les
otages permanents.
Najib Mikou
Expert en Prospective et Etudes Stratégiques